CHAPITRE XI
LES HASARDS DE LA GUERRE

La lourde chaloupe de la Phalarope, surchargée d’hommes en vue du coup de main, se mit à embarquer quelques minutes après avoir quitté l’abri du flanc de la frégate.

Herrick, calé dans un angle à l’arrière, regardait par-dessus la tête des hommes qui peinaient aux avirons. Il voyait mal, tant à cause de l’obscurité que d’un flot continu d’embruns arrachés par le vent. Il cherchait à se concentrer sur son plan d’attaque. Mais comme le temps passait et que les embardées du canot s’accentuaient encore, une moitié de son esprit en vint à considérer que déjà les éléments se dressaient contre lui. La force du vent avait augmenté et il n’était pas nécessaire de consulter le petit compas pour sentir qu’il avait aussi viré vers l’est, de sorte que l’abri qu’aurait pu offrir l’île se perdait à présent dans une confusion de vagues rageuses et de ressac puissant renvoyé par des écueils en partie submergés.

Herrick regardait derrière lui de temps à autre et voyait avec reconnaissance que le canot de service le suivait de tout près. Tantôt ses avirons fouettaient le haut des vagues, tantôt ils s’enfonçaient dans l’eau jusqu’aux dames de nage, lorsque le canot redescendait dans un de ces creux effrayants.

Ryan, un quartier-maître dur à cuire, poussa la barre en criant : « Il prend mal la mer, Monsieur ! Les hommes sont déjà épuisés ! »

Herrick hocha la tête sans répondre. La nage lente et pénible montrait la fatigue des matelots, déjà incapables de mener à bien la moindre attaque. Herrick était de plus en plus tracassé par l’idée que Vibart avait mis les embarcations à l’eau beaucoup trop tôt. L’île de Nièves n’était encore qu’une ombre plus noire sous le manteau sombre de la nuit et l’on ne voyait apparaître aucun des amers choisis.

Il sentit la colère l’envahir en se rappelant la brusquerie de Vibart quand il l’avait vu pour la dernière fois. Tout ce que voulait le lieutenant, c’était se débarrasser des canots. Il n’avait prévu aucun plan de rechange, pas le moindre projet pour récupérer ses hommes.

L’Andiron était censé se trouver au mouillage sous la pointe Dogwood. Mais même en imaginant que l’abri dût être meilleur près de terre, il était probable que son capitaine aurait appelé du monde sur le pont pour parer à tout danger possible avec ce vent qui forçait. Herrick imagina soudain les équipages épuisés de ses canots arrivant le long du navire pour y trouver le feu meurtrier de canonniers bien éveillés et prêts à la vengeance.

Ryan criait à nouveau : « Nous dérivons beaucoup, vous voyez ? Nous allons être emportés derrière la pointe, Monsieur. » Et il semblait amer. « Il faudra longtemps pour parer le cap à cette vitesse-là ! »

Comme pour appuyer ses mots, on entendit un murmure anonyme dans la chaloupe sombre. Quelqu’un grommela : « On devrait rentrer. Nous n’avons plus aucune chance maintenant ! »

Herrick lança à ses hommes un regard furibond. « Silence donc ! Voulez-vous que toute l’île nous entende ? »

« Ne pourrions-nous pas nous arrêter derrière la pointe, Monsieur ? » murmura Ryan. Il semblait un peu honteux. « Nous pourrions laisser les hommes se reposer un moment et puis essayer à nouveau. »

Herrick acquiesça. Un autre plan prenait forme dans son esprit. « Bonne idée. Prévenez le canot, Ryan. » Il saisit la barre tandis que le quartier-maître ouvrait le volet de sa lanterne et lançait deux éclats vers l’arrière. Il jeta sèchement aux matelots : « Gardez le rythme. Ensemble, à présent ! » Personne ne disait mot, mais il sentait que tous l’observaient dans l’obscurité. Il ajouta : « Le reste à écoper, et attention aux avirons ! Je ne veux pas le moindre bruit ! »

Ryan lui dit : « Le canot de service a viré, Monsieur et je vois aussi le grand canot là-bas. »

« Dieu merci ! » Herrick oublia ses matelots ronchonnants quand la ligne d’horizon se transforma, montrant le profil déchiqueté d’une falaise surplombante. C’était bien la pointe Dogwood, mais ils avaient dérivé plus loin qu’il ne le pensait. Les embarcations n’étaient pas au pied du cap, mais du mauvais côté. Comme il observait tristement la silhouette hostile de la pointe de terre, il sentit que le mouvement du canot devenait plus doux et les avirons reprirent un rythme régulier en pénétrant dans des eaux plus abritées.

Il dit tout bas : « Avirons ! Doucement maintenant ! Vous faites autant de bruit qu’un troupeau de vaches ! »

La chaloupe se mit à ballotter dans la houle tandis que les matelots s’effondraient sur leurs avirons en aspirant avec gratitude l’air humide de la nuit. Le grand canot sortit de l’ombre et vint se ranger à ses côtés. Puis ce fut le tour du canot de service qui s’approcha de l’autre bord, de manière que l’enseigne Maynard pût se faire entendre. « Que faisons-nous, monsieur Herrick ? »

« Repos ici un moment. » Herrick parlait lentement pour se laisser le temps de remettre un peu d’ordre dans ses idées. Il souhaita que Maynard ne parût pas aussi perdu et désorienté devant ses hommes. Les choses étaient déjà assez difficiles comme cela, pensa-t-il. Il ajouta : « Où sont M. Parker et le petit canot ? »

Maynard haussa les épaules, mais dans le grand canot.

Packwood, le second maître, répondit rapidement : « Nous l’avons perdu de vue il y a longtemps, monsieur Herrick. » Herrick parvint sans effort à maîtriser sa voix pour répondre : « Peut-être a-t-il fait demi-tour ? »

Un matelot murmura : « Coulé, plus probablement ! » Herrick se décida : « Venez à couple, mais sortez les défenses. »

Il attendit, retenant son souffle, tandis que les deux canots venaient se ranger aux côtés de la chaloupe. À chaque grincement, à chaque choc, il pensait entendre des cris à terre ou bien le bruit sinistre d’un feu de mousqueterie. Mais seul le vent et le sifflement des embruns se mêlèrent pour lui couper la parole quand Maynard et Packwood se penchèrent pour l’écouter.

« Si nous faisons le tour de la pointe, il sera trop tard pour attaquer ! »

Maynard murmura d’un ton irrité. « A mon avis, on nous a fait ramer trop longtemps. C’était une tâche impossible ! »

« Personne ne vous demande votre avis », gronda Herrick. « Aussi, taisez-vous et écoutez-moi, voulez-vous ? » Herrick lui-même fut surpris de la rudesse de sa voix, mais il poursuivit hâtivement : « Il devrait y avoir un bout de plage sous la pointe. C’est là que nous allons nous rendre. M. Packwood nous attendra avec la moitié des équipages dans les canots et il se tiendra le plus près possible des rochers. » Herrick laissa passer un instant, sentant que la tension rongeait sa patience. « Compris ? »

Ils acquiescèrent, incertains, et il poursuivit : « M. Maynard m’accompagnera à terre avec trente hommes. En escaladant la pointe, nous devrions voir de l’autre côté ; si l’Andiron est toujours là, nous tenterons peut-être l’attaque, surtout s’il paraît assez paisible et s’il est proche de la pointe, sans quoi nous retournerons dans le secteur de ramassage. » Il imagina brièvement la rage et le dépit de Vibart s’il rentrait pour annoncer l’échec de son attaque. À nouveau, il éprouva cette même colère déraisonnable à propos de leur mission. L’amiral aurait dû envoyer une force supérieure. Le Cassius même aurait pu être utile pour les appuyer de sa puissance et faciliter la retraite.

Peut-être, après tout, était-ce aussi de sa faute. S’il ne s’était pas fié à la suffisance de Vibart et s’il avait vérifié avec plus de soin l’éloignement de la côte ; si seulement il avait tenu compte du changement de vent et du courant violent qui les faisaient dériver vers le large… Il se secoua avec colère. Il était trop tard maintenant. Seul le présent comptait.

Pourtant, il trouva encore le temps d’imaginer Bolitho placé dans la même situation. L’image de ce visage impassible lui rendit tout son calme et il dit d’une voix égale : « Débordez et mettez le cap sur les rochers. Mais pas un bruit, quiconque ! »

Un par un les canots se rapprochèrent de terre et lorsqu’ils furent presque entourés d’un cercle de roches sombres, les premiers matelots, glissant et jurant, sautèrent dans l’eau peu profonde.

Il était inutile, décida Herrick, de tenter à présent de répartir les hommes en plusieurs groupes. Cela prendrait trop de temps et ils avaient déjà suffisamment tenté le diable. Herrick regarda s’écarter les trois canots puis jeta : « Monsieur Maynard, venez avec moi. Mclntosh prendra le commandement ici. » Il fit un effort de mémoire pour se souvenir des noms choisis avec tant de soin. « Allday et Martin, suivez-moi ! »

Allday semblait capable et Martin, qui autrefois gagnait fort bien sa vie comme braconnier dans le Dorset, était agile et silencieux comme un renard.

Tandis qu’ils escaladaient sans bruit la falaise abrupte, Herrick pensa à nouveau à Bolitho et à son audacieuse attaque de l’île Mola. Il lui avait fallu faire face à toutes sortes de dangers et pourtant il avait réussi, au prix de sa vie. Cette escapade n’était rien en comparaison de l’île Mola, se dit-il, sévère.

Et pourquoi avait-il pris le soin de suggérer une autre solution ? Avait-il donc l’intention de retourner à la Phalarope sans même tenter d’accomplir sa mission ?

Il trébucha et faillit tomber sur les rochers au-dessous de lui, mais une main saisit son poignet et il entendit Allday lui dire : « Il faut faire attention sur ce genre de falaises, Monsieur, on croit que c’est solide, mais les pierres sont seulement enfoncées dans la terre. Elles ne tiennent pas. »

Herrick le regarda fixement. C’était vrai, Allday avait été berger tout autant que marin. Après les falaises rocheuses et les collines de Cornouailles, ceci n’était sans doute qu’un jeu d’enfant pour lui.

Comme s’il lisait dans ses pensées, Allday murmura : « J’ai bien souvent dû descendre ce genre de truc derrière un agneau vagabond. »

Ils s’immobilisèrent, silencieux soudain, comme Martin sifflait. « Monsieur, il y a une sentinelle là-haut. » Herrick se retourna. « Vous êtes sûr ? Où ça ? » Martin hocha la tête avec véhémence. « Une trentaine de mètres plus haut ; j’ai entendu ses bottes, là ! » Ses yeux brillaient d’excitation. « Vous avez entendu ? »

« Oui. » Herrick s’affaissa sur une banquette d’herbe humide. Une sentinelle là-haut. Mais pourquoi donc ? De nuit, personne ne pouvait rien voir au-delà du bord de la falaise. « Nous allons nous approcher pour voir un peu de quoi il s’agit. »

Tenant leurs armes en l’air pour qu’elles ne cognent pas sur les pierres traîtresses, ils franchirent avec précaution le flanc du cap, et leurs yeux les piquaient à force de chercher à percer l’obscurité.

Enfin, Herrick dit : « Martin, passez par la gauche, Allday du côté du large. » Il les vit s’éloigner en rampant. « Nous allons continuer d’escalader cette pente, monsieur Maynard. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de louche là-haut. »

Allday revint le premier ; plié en deux, il courait d’un buisson à l’autre. « l’Andiron est bien là, Monsieur, juste de l’autre côté de la pointe. C’est le noir complet. Pas un bruit, pas un son. »

« Il faut qu’ils soient bougrement confiants », murmura Maynard.

« L’équipage est peut-être à terre, Monsieur », dit Allday. « Peu probable. » Herrick cherchait à découvrir la cause de son malaise. « Le mouillage doit être excellent. » Il se raidit soudain, pour se détendre en voyant Martin descendre la pente sur son maigre derrière.

Martin fit une pause pour reprendre souffle. « Il y a des soldats là-haut, Monsieur. »

« Que font-ils ? » Herrick se forçait à garder son calme. « On dirait bien qu’ils dorment. » Martin tira une épine de son pied nu. « Ils ont planté une sentinelle à chaque bout, mais tout le reste a l’air couché. » Il haussa les épaules. « Y dorment, quoi ! » La voix était méprisante.

Herrick demanda soudain : « Que vouliez-vous dire, Martin, « à chaque bout » ? »

« Ah, j’oubliais, Monsieur ! » Martin ricana : « Ils ont six pièces d’artillerie sur le côté de la falaise. »

Herrick se sentit étrangement soulagé. Il était toujours plus désagréable de ne pas connaître les difficultés que d’y faire face. Presque pour lui-même il reprit : « Deux sentinelles seulement, dites-vous ? »

Martin acquiesça. « Oui, Monsieur, et une trentaine d’hommes couchés près des canons. » Il gloussa. « J’aurais pu leur couper la gorge sans peine. »

« Vous aurez peut-être à le faire », dit Herrick. Tout était clair soudain : l’Andiron dormait au mouillage parce qu’il était protégé par des pièces de campagne bien armées. Sans aucun doute, les canons étaient déjà chargés et pointés pour couvrir toute la baie. C’était un arrangement assez courant, lorsqu’on ne disposait pas d’un véritable port.

Il eut soudain froid dans le dos à l’idée de ce qui serait arrivé si ses canots avaient attaqué comme prévu. Les pertes et le vacarme auraient anéanti toutes leurs chances de succès.

« Descendez à la plage, monsieur Maynard », dit-il calmement. « Envoyez-moi ici le plus vite possible tous les hommes disponibles. Mettez les canots à l’ancre et que les derniers regagnent le bord à la nage. Dites à Mclntosh et aux autres que j’ai l’intention de m’emparer des canons et de les mettre hors d’état de nuire. Ensuite, nous redescendrons aux canots et nous attaquerons l’Andiron comme prévu. »

Ils le regardaient tous en silence, puis Maynard dit : « Et vous, Monsieur ? »

Herrick frappa sur l’épaule de Martin. « Notre braconnier va payer son dû ce soir, monsieur Maynard. »

Martin tira un couteau de sa ceinture et tendit le lourd sabre d’abordage à Allday. Il dit joyeusement : « Facile, Monsieur. Ça ne paraît même pas juste, n’est-ce pas ? »

Lorsque Martin et Maynard eurent disparu dans l’obscurité, Herrick dit avec calme : « Il faut réduire ces soldats au silence pendant qu’ils dorment. Morts ou assommés, je m’en moque, mais je ne veux pas qu’ils donnent l’alarme. » Allday grimaça en entendant le poignard de Maynard sonner sur une pierre au-dessous d’eux, puis il ajouta : « C’est eux ou nous, n’est-ce pas, Monsieur ? »

 

« Comment va votre bras, monsieur Belsey ? » Bolitho entendit le second maître bouger quelque part dans l’obscurité profonde et se rendit compte qu’il n’avait posé la question que pour briser ce silence insupportable. En compagnie de Belsey et de Farquhar, il avait été vivement conduit en bas et enfermé sans cérémonie dans une minuscule cambuse inutilisée, quelque part sous le gaillard d’avant de l’Andiron. Après quelques brèves tentatives de conversation, tous trois s’étaient abîmés dans le silence et l’inquiétude de leurs pensées.

« Assez bien, Monsieur », répondit Belsey. « Mais cette agitation me fait transpirer. »

Les mouvements malaisés du navire avaient certainement augmenté depuis une heure. La cambuse se trouvait au-dessous de la flottaison de l’Andiron et le rappel brutal de la coque sur son ancre n’en était que plus sensible. L’équipage avait déjà laissé filer un peu de câble pour compenser le changement de vent qui balayait à présent avec une férocité croissante le mouillage auparavant bien abrité.

Belsey ajouta : « Peut-être la Phalarope va-t-elle reprendre le large, Monsieur. Ils ne voudront pas mettre les canots dehors par un temps pareil ! »

Bolitho fut heureux que ses compagnons ne pussent voir son visage. Un changement de temps n’influerait guère sur la détermination de Vibart à obtenir la victoire, pensa-t-il. Depuis l’instant où le signal envoyé de la colline était parvenu aux défenseurs soigneusement dissimulés, il avait senti grandir en lui le désespoir, la certitude atroce du désastre qui guettait la Phalarope et son équipage, et il ne pouvait pas aider le moindre d’entre eux.

Il sentit une pression soudaine derrière ses épaules, comme le navire gîtait dans une profonde lame. La frégate à présent tirait sur son câble à intervalles réguliers et il sentait le pont se soulever puis glisser de côté à chacun de ses sursauts.

Il repensa à son frère et se demanda ce que celui-ci faisait en cet instant. L’ardeur, qu’avait suscitée en lui l’idée du massacre de l’équipage de prise envoyé par la Phalarope, devait maintenant avoir fait place à une inquiétude concernant la sécurité de son propre navire. À tout autre moment, il aurait fait voile pour gagner l’autre côté de l’île, mieux abrité. C’était étrange comme ce changement de temps inattendu jouait son rôle dans la partie engagée. Malheureusement, cela n’aurait aucun effet définitif et ne pourrait que prolonger l’angoisse de l’attente.

Farquhar dit d’un ton absent. « Je voudrais qu’il se passe quelque chose. Cette attente m’exaspère. »

Bolitho se déplaça pour surveiller la fente brillamment éclairée de la porte de la cambuse. Une ombre venait parfois obscurcir ce fil d’argent lorsque la sentinelle bougeait dans l’étroite coursive. Tout en déplaçant ses membres engourdis, Bolitho sentit le contact chaud de l’acier sur sa jambe et se souvint du poignard. Pour tout l’usage qu’il pourrait en faire à présent, il aurait aussi bien pu le laisser dans la cabine, pensa-t-il avec lassitude.

Il était étrange que les gardes n’eussent pas pris le soin de le fouiller. Mais ils manifestaient une confiance si totale et si justifiée que cela n’avait rien qui dût l’étonner. Même son frère avait trouvé le temps de le voir tandis qu’on le conduisait dans cette cambuse.

Hugh Bolitho portait l’épée de leur père en plus d’une paire de pistolets et la bataille imminente semblait lui avoir communiqué un renouveau de vie et de passion.

« Eh bien, Richard, c’est votre dernière chance ! » Il se tenait très à l’aise sur le pont mouvant, la tête de côté et regardait son frère avec une sorte d’amusement. « Ce n’est qu’une question de décision et il vous appartient de la prendre. »

« Je n’ai rien à vous dire, ni maintenant, ni jamais ! » Bolitho s’était efforcé de ne pas regarder l’épée. Cela avait été l’ultime insulte.

« Parfait ! Dorénavant, il se peut que je ne vous voie guère. J’aurai beaucoup à faire ! » Il avait levé les yeux vers le ciel, furieux. « Le vent se lève, mais j’espère cependant recevoir mes visiteurs. » Il avait ajouté d’un ton plus dur : « Il vous faudra courir votre chance auprès des autorités françaises. Pour moi, je dois conduire l’Andiron au sein des flottes alliées. »

Il avait vu que son frère était déjà sur ses gardes et il avait poursuivi, très calme : « Je peux vous le dire à présent, Richard, car vous serez empêché d’y prendre part : l’amiral français de Grasse doit faire sa liaison avec une escadre espagnole. Ensemble et avec notre aide, ils attaqueront la Jamaïque. » Il avait eu un geste brusque, comme pour souligner le caractère irrévocable de la campagne. « Je crains que le roi George ne soit forcé d’aller ailleurs pour découvrir d’autres terres neuves à conquérir ! »

Bolitho avait dit à son garde : « J’aimerais descendre ! » Son frère avait lancé derrière lui : « Vous êtes idiot, Richard, et, ce qui est pire, vous avez tort ! »

Assis dans la petite cambuse ballottée, Bolitho avait tout le temps de revivre l’amertume et le sentiment de défaite qu’il avait éprouvés.

Il y eut un raclement métallique quand on tourna les verrous de la porte et Belsey gronda : « Les v’là encore qui viennent se vanter. Que Dieu les envoie rôtir en enfer ! » Mais lorsque la lueur de la lampe envahit la petite pièce en leur brûlant les yeux, Bolitho demeura figé de surprise. Stockdale était debout dans l’embrasure, clignant des yeux, une lourde hache d’abordage à la main.

Bolitho réussit à se relever et aperçut alors la sentinelle étendue sous la lanterne, le crâne broyé comme une coquille d’œuf.

Stockdale dit humblement : « Je suis désolé d’avoir mis si longtemps, cap’taine, mais j’ai dû gagner leur confiance. » Il eut un sourire embarrassé. « Même maintenant, je ne suis pas sûr d’avoir fait comme vous vouliez. »

Bolitho pouvait à peine parler. Il agrippa le bras massif de l’homme et murmura : « Tu as bien fait, Stockdale, ne crains rien. » Puis il dit aux autres : « Etes-vous avec moi ? » Farquhar répondit, tout étourdi : « Dites-moi simplement ce qu’il faut faire, Monsieur. »

« Vite, Stockdale ! » Bolitho sortit dans la coursive et jeta un coup d’œil au-delà du cercle de lumière jeté par la lanterne. « Dis-moi ce qui se passe ! »

L’ancien lutteur parlait d’une voix rauque : « Ils commencent à être inquiets là-haut, Monsieur. Pas trace d’attaque et le navire prend assez mal le vent. » Il réfléchit un instant. « Nous pourrions peut-être gagner la plage à la nage. » Il était plein d’ardeur, soudain. « Oui, avec un peu de chance, nous pourrions y arriver ! »

Bolitho secoua la tête : « Pas encore. On doit faire bonne garde. Ce n’est pas à nous qu’il faut penser. Il nous faut tenter de sauver la Phalarope avant qu’il soit trop tard. » Stockdale eut un coup d’œil pour le cadavre à ses pieds. « La sentinelle sera relevée dans une demi-heure, Monsieur, nous n’avons pas beaucoup de temps. »

« Je vois. » Bolitho tenta de calmer l’excitation et le tourbillon de ses pensées pour réfléchir plus clairement. « Nous ne sommes pas de taille à combattre l’équipage tout entier, mais avec quelque chance, nous pourrions encore les surprendre. »

Belsey intervint : « J’aimerais bien emmener quelques-uns de ces bougres avec moi ! »

Bolitho tira le poignard caché le long de sa jambe et le fit briller dans la lumière. « Montre-nous le chemin, Stockdale. Si nous arrivons jusqu’au gaillard d’avant, j’ai l’idée d’une chose qui pourra faire diversion. »

Farquhar saisit le sabre de la sentinelle et murmura froidement : « Est-ce au câble que vous pensez, Monsieur ? » Bolitho lui jeta un rapide coup d’œil approbateur : « Le navire rappelle dur sur son ancre. Si nous pouvions couper son câble, il se trouverait dans un grave danger. Nos hommes sont par là quelque part et ils ne tarderont pas à se dégager s’ils voient l’Andiron dériver vers la pointe. » Belsey l’interrompit tout excité : « l’Andiron devra faire voile, Monsieur, et peut-être sera-t-il trop tard avec le vent de ce côté, il ira s’échouer sans rémission. »

« Je vous demande pardon, Monsieur. » Stockdale regardait Bolitho avec tristesse. « Ils ont déjà mis une fameuse bordée de surveillance à l’étrave au-dessus de l’ancre ! »

Bolitho sourit froidement. « Cela ne m’étonne pas ! » Il appela les autres du geste. « Venez, nous avons peu de temps. » Comme ils se glissaient le long de la coursive, il ajouta : « Vous souvenez-vous, monsieur Farquhar, de cette pièce de neuf livres sur le gaillard d’avant ? »

Farquhar, les yeux brillants, approuva. « Oui, Monsieur, l’une des pièces de chasse. »

Bolitho s’arrêta au pied d’une étroite échelle, les yeux fixés sur le panneau tout là-haut. Peut-être serait-ce possible ? Aucun d’eux ne survivrait à cette tentative, mais il savait qu’à présent ses compagnons avaient compris cela.

Il parla d’un ton très calme. « Le canon a été amarré là-haut pendant qu’on réparait le pavois défoncé par la Phalarope. Si nous réussissons à trancher les amarrages, avec le temps qu’il fait, l’engin va s’emballer comme un taureau furieux. »

Belsey aspira l’air entre ses dents. « Grands Dieux, une pièce de neuf livres, ça pèse plus d’une tonne. Il en faudra pour l’arrêter ! »

« Si je coupe les amarrages, dit Bolitho, crois-tu, Stockdale…»

L’homme se retourna avec un grand sourire. « Ne dites plus rien, cap’taine. » Il balançait sa lourde hache. « Quelques minutes seulement, c’est tout ce qu’il me faut. »

« Et tu n’en auras pas plus, mon gars. » Bolitho se hissa jusqu’en haut de l’échelle et jeta un coup d’œil par le panneau. L’entrepont tout entier était désert à nouveau. Il scruta la dernière échelle, celle qui menait au pont, puis dit : « Restez derrière, Belsey, vous ne pouvez pas vous battre avec un seul bras. »

« Je ne peux pas non plus m’asseoir là et rester à ne rien faire, Monsieur. » Belsey le regardait, obstiné. « Ne vous occupez pas de moi, Monsieur, je peux encore me débrouiller. »

Les bruits qui auraient pu dénoncer leur avance prudente se perdaient dans le craquement des espars et le bourdonnement des haubans et du gréement. Bolitho observa rapidement la plus proche ligne de canons enchaînés et les silhouettes confuses de leurs servants. La plupart des hommes étaient couchés sur le pont ou appuyés au pavois. Il n’en restait que quelques-uns debout et ils regardaient vers l’extérieur, les yeux dépassant à peine des filets de bastingage.

Bolitho aperçut la pièce de neuf livres, solitaire, débordant vers l’arrière au-dessus du pont principal. Il l’entendait grincer doucement comme si elle avait protesté contre les amarrages qui la maintenaient immobile et impotente à côté du cabestan.

Bolitho essuya ses yeux brouillés par la sueur et maudit le battement douloureux de son cœur sous ses côtes. C’était tout de suite ou jamais ; on pouvait d’un instant à l’autre les reconnaître pour ce qu’ils étaient et leur effort alors serait vain. Sous les yeux fascinés de ses compagnons, il se redressa et se dirigea vers le canon d’un pas tranquille, puis bruyamment il s’assit sur le pont et croisa les bras sur sa poitrine comme s’il cherchait le sommeil.

Farquhar dit entre ses dents : « Dieu, regardez-le ! Il n’est pas possible qu’un de ces hommes ne voie pas de qui il s’agit ! »

Mais Bolitho avait agi si ouvertement que cela n’avait pas éveillé d’intérêt immédiat parmi les matelots. Et tandis que l’Andiron roulait bord sur bord, le gaillard d’avant demeura tranquille.

Belsey, étendu près du panneau de descente, roula de côté et chuchota : « Regardez, voilà un officier ! »

Ils virent, dans un silence complet, la silhouette bleue et blanche de l’un des lieutenants du navire qui se dirigeait lentement vers l’avant sur le pont principal, pour grimper l’échelle du gaillard ; l’officier dut faire une pause à mi-hauteur de cette échelle, alors qu’un grain plus fort que les précédents s’abattait sur le flanc du navire dans une débâcle d’embruns qui firent vibrer le mât de misaine comme un jeune arbre.

Puis Stockdale, qui avait reporté ses yeux sur Bolitho, murmura : « Il a réussi. »

Lorsque l’étrave de la frégate se souleva en tirant sur l’ancre, le canon se mit à bouger, d’un mouvement à peine décelable au début. Puis, broyant ses minuscules cales, il dévala toute la longueur du gaillard pour venir s’écraser avec violence sur le pied du mât de misaine.

Soudain, tout le monde se mit à beugler et vociférer en même temps. Certains des cris se changèrent en hurlements de frayeur quand le canon, pivotant avec malveillance comme sous la poussée de mains invisibles, repartit dans une charge folle à travers le pont incliné.

Le lieutenant lança un appel : « Ici les hommes ! Prenez des anspects et d’autres palans ! Faites leste, ou il va passer à travers le bordé ! »

Les hommes de quart à l’ancre sortirent de leur cachette et accoururent à l’étrave pour se joindre à la foule qui s’affairait au bord du gaillard d’avant. Au centre du désordre, le canon joyeux et meurtrier tournait sur lui-même comme pour chercher la piste d’un nouveau méfait, puis se lançait en grinçant et grondant vers le bord opposé. Il vint heurter une autre pièce et dispersa comme de simples graviers tout un râtelier de projectiles. Les boulets ne firent qu’ajouter à la panique et certains s’en allèrent rouler jusque sur le pont principal.

Un matelot, plus courageux que les autres, se jeta à cheval sur la culasse et déjà ses mains fixaient l’œil d’un cordage autour de la gueule. Mais quand le canon repartit en arrière, l’homme hurla et s’abattit contre le pavois où il reçut en pleine poitrine les deux mille six cents livres de bois et de métal.

Bolitho saisit le bras de Farquhar et jeta : « Regardez ! ils ont glissé une cale sous l’affût. Nous n’en avons plus pour très longtemps. »

À l’instant où il parlait, certains des matelots qui entouraient le canon se retournaient déjà et les regardaient fixement. Sur leurs visages, l’expression de saisissement et d’incrédulité laissait place à une fureur glacée. Bolitho et ses deux compagnons reculèrent lentement vers l’étrave, le dos au vent et à la mer, tandis que convergeait vers eux une masse d’hommes agglutinés, d’autant plus terribles qu’ils avançaient dans un silence absolu.

Puis, pour rompre le charme, un homme beugla : « Tuez-les ! Abattez-moi ces salauds infects ! »

Pressée par les hommes derrière elle, la cohue avança d’un pas, mais ce fut pour s’arrêter, incertaine, lorsqu’une sorte de coup de feu résonna sur le pont, suivi instantanément d’un grand cri triomphant de Stockdale.

« Il a cédé ! Le câble est coupé ! »

Un instant encore, les matelots de l’Andiron restèrent figés à se regarder. Puis le sentiment de ce péril inattendu s’imposa à tous et ils n’hésitèrent plus. Un officier sur le pont hurlait des ordres et le cri fut transmis à l’avant par quelques-uns qui avaient gardé la tête froide.

« En haut le monde ! En haut le monde ! À larguer les huniers ! »

Tout à l’arrière, Bolitho entendit la voix de son frère durcie et amplifiée par son porte-voix. « Armez la barre ici ! » Puis comme le navire tremblait de la proue à la poupe ainsi qu’un animal libéré, il hurla : « Monsieur Faulkner, mettez les hommes aux bras ! »

Bolitho s’appuya au pavois, tenant toujours le poignard devant lui. La frégate prit de la bande et commença d’abattre. Les hommes grimpaient follement dans les haubans et déjà un petit bout de toile se gonflait et claquait sur le ciel noir.

Le porte-voix se fit entendre à nouveau. « Couvrez ces hommes sur le gaillard d’avant. Abattez-les s’ils tentent de s’échapper ! »

Belsey s’essuya le front et murmura : « Si nos gars sont bien là dehors, ils n’essaieront pas d’aborder ! » Il regardait le visage tendu de Bolitho. « Maintenant, Monsieur, je peux mourir en paix. Je crois que nous avons bien fait notre boulot ce soir ! »

Bolitho vit son visage éclairé d’un reflet orange et comme il se retournait avec surprise, l’air autour de lui sembla s’animer du sifflement aigre des coups de feu. Les étais, les drisses se rompirent et sous ses pieds, les planches du pont volèrent en éclats. Un millier de balles balayaient tout l’avant du navire.

Farquhar tendait le bras. « Regardez, la batterie nous a tiré dessus ! » Il agitait son chapeau. « Ces idiots stupides ont tiré sur leurs propres hommes ! »

Bolitho le força à se baisser. « Et sur nous ! Baissez donc la tête, monsieur Farquhar, vous pourriez en avoir besoin par la suite. »

Le feu avait cessé, mais cette salve unique, soigneusement préparée, avait suffi. La promptitude des officiers de l’Andiron et la rapidité de réactions de ses matelots les mieux entraînés auraient pu lui permettre d’échapper au danger. Mais quand le barrage de mitraille balaya les hommes de ses haubans et de ses vergues et vint faucher une partie des matelots qui encombraient encore le pont, la dernière possibilité de salut fut perdue. La silhouette noire de la pointe Dogwood sembla grandir, écrasant le navire à ses pieds. Il parut encore que le vent et le courant allaient peut-être lui permettre de se dégager. Mais à l’instant où Bolitho tirait sur le pont ses compagnons abasourdis, l’Andiron eut un long frisson, aussitôt suivi d’un choc terrifiant qui jeta à bas les derniers matelots.

Belsey leva les yeux vers le ciel et se signa. « Le grand mât descend, mon Dieu ! et l’artimon aussi ! »

Fasciné, Bolitho vit les deux espars immenses frémir et s’incliner très lentement à tribord. Puis les étais cassèrent et comme l’angle se faisait plus aigu, les mâts s’abattirent dans un désordre indescriptible de vergues et de voiles déchirées pour s’effondrer enfin dans l’eau blanche le long du bord.

Un autre choc, un autre encore secouèrent la coque. Le pont s’inclina plus bas vers la mer. Bolitho se redressa en criant : « Il est échoué sur le banc de sable ! Il va se briser le dos et chavirer dans quelques minutes ! »

Il entendait les canons s’arracher à leurs palans et dévaler le pont, écrasant les restes hurlants de leurs maîtres. Il n’y avait aucun espoir de mettre un canot à l’eau et personne ne l’avait tenté. Quelques-uns sautaient déjà par-dessus bord pour être aussitôt entraînés par un violent courant. D’autres fuyaient vers les entrailles du navire comme pour chercher la sécurité dans le noir, et tout autour d’eux des voix criaient, imploraient, menaçaient et juraient tandis que le navire se rompait sous les pieds de son équipage.

Le mât d’artimon se brisa à quelque quatre pieds au-dessus du pont et suivit les autres à la mer. La belle frégate qu’avait été l’Andiron n’était plus qu’un lourd ponton démâté, objet d’effroi et d’horreur.

La voix de Belsey se fit entendre par-dessus le vacarme. « Voilà un panneau de descente, Monsieur, regardez, il flotte près du beaupré ! » Il se tourna vers Bolitho, les yeux hagards. « Nous pourrions sauter pour l’attraper ! »

Bolitho se détourna pour regarder le pont qui tremblait une fois de plus. Un autre canon s’était largué et fauchait un groupe de matelots. Puis il aperçut son frère debout, seul, près de la rambarde de dunette. Son corps semblait à quarante-cinq degrés avec le pont fortement gîté. Il ne donnait plus d’ordres, mais restait là immobile, comme pour partager jusqu’au bout l’agonie de son navire.

Bolitho resta encore un moment à le fixer. La distance qui les séparait était bien plus grande que la longueur du pont. Il ressentit un élan de compréhension, presque de pitié, car il savait fort bien ce que lui-même eût éprouvé dans un tel moment.

Puis, il dit d’un ton bref : « Allez-y, les gars, sautez loin ! »

Belsey et Farquhar bondirent par-dessus bord ensemble et il les vit lutter vers le carré de bois flottant. Stockdale dit alors d’une voix rauque : « Venez, capitaine je vais sauter avec vous ! »

Comme il saisissait le pavois, Bolitho entendit un cri derrière lui et aperçut vaguement un officier qui rampait dans sa direction sur le pont fortement incliné. Il vit du sang sur le visage de l’homme et reconnut le lieutenant qui avait partagé sa captivité solitaire dans la poupe, l’homme qui lui avait parlé de sa femme et de la liberté impossible de la paix.

Puis il aperçut le pistolet dans la main du lieutenant et comme il tentait de se hisser par-dessus la lisse, le pont fut éclairé d’une lueur aveuglante et il lui sembla qu’un fer chauffé à blanc lui explosait entre les côtes.

Stockdale détourna ses regards de Bolitho avec un cri bref, animal, issu du fond de lui-même. De toute sa force, il lança sa hache dans un moulinet dont la violence décapita presque l’officier américain, de sorte que l’homme sembla s’incliner en un macabre salut.

Bolitho sentit vaguement que Stockdale le prenait à pleins bras, puis qu’il tombait dans le vide. Ses poumons gonflèrent à se rompre, sa gorge se remplit d’eau salée et lorsqu’il tenta d’ouvrir les yeux, il ne vit que l’obscurité cuisante.

Puis il sentit qu’on le hissait sur le petit radeau et il entendit Belsey haleter : « Oh ! les maudits salauds ! ils ont eu le capitaine ! »

Puis la voix de Farquhar, tremblante mais déterminée : « Pour l’amour de Dieu, faites attention, voici un canot, baissez-vous et silence ! »

Bolitho voulut parler, mais il ne put que scruter le visage assombri de Stockdale qui se détachait sur les nuages très bas. Il entendit des avirons, le bruissement d’un canot fendant l’eau. Mais la captivité ou la mort ne seraient pas vaines, pas cette fois. Il écouta les vagues gronder là-bas sur la frégate naufragée et les faibles cris de ceux qui se cramponnaient encore à la coque en ruine.

Puis, juste au-dessus de sa tête, lui sembla-t-il, il y eut un cri bref, suivi du cliquetis d’un fusil à pierres. C’était comme un cauchemar dont rien ne l’affectait vraiment. Ce n’est que lorsqu’une voix cria tout haut, en anglais : « Voilà quelques-uns de ces démons, là dans l’eau, Monsieur ! » que la compréhension se fit jour lentement à travers la brume de souffrance.

Farquhar se redressa en criant : « Ne tirez pas, ne tirez pas, nous sommes anglais ! »

Puis tout le monde sembla s’égosiller en même temps et quand un autre canot s’approcha à son tour, Bolitho entendit très loin une voix familière :

« Qui avez-vous donc là, monsieur Farquhar ? » La voix de Herrick tremblait d’émotion, comme s’il ne pouvait encore en croire ses yeux.

Farquhar répondit : « C’est le capitaine ! » Bolitho sentit que des mains le soulevaient, lui faisaient franchir le plat-bord, et il vit des figures déformées osciller au-dessus de lui, en mouvements vagues et irréels. Des mains palpèrent ses côtes et ce fut le coup de poignard d’une douleur nouvelle, puis le réconfort d’un pansement, et sans cesse, autour de lui, le bavardage fiévreux de ces hommes… Ses hommes !

Le visage de Herrick était tout proche et Bolitho put voir l’éclat de ses yeux. Il aurait voulu lui dire quelque chose, le rassurer, lui faire comprendre.

Mais il ne put trouver assez de force. Il serra simplement la main de Herrick puis laissa l’obscurité l’envelopper comme un manteau.

 

Cap sur la gloire
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